L’Ethique démontrée selon l’ordre poétique. (2005 2006)

Ediciones Teatro de Ideas, 2012

Démonstration
(Baruch de Spinoza parle)

Je rêve d’une porte :
je ferme mon verrou
comme une clef.
Comme dans tous les
beaux rêves humains,
la porte donne sur un jardin.
Mais ma clef ouvre vers
l’intérieur, où il n’y a
qu’ombre, parfum et rumeur
de feuilles et de vent.
Moi qui ai été
chassé, exposé, j’aime le reste
de clarté qui rend possible
de voir le jardin où il n’y a
pas de jardin : j’aime
mon rejet, mon verrou,
le danger du texte
engendré.

Scolie :

Je rêve d’appartenir. Moi,
qui n’ai rien, à qui rien
n’appartient, j’ai été rejeté.
J’aime mon rejet,
cet acte contre moi
a fait de moi ce que je suis :
un artisan
qui étaye la vision :
un qui révèle et un
rebelle.

Je rêve d’être
accueilli,
que ma mère
prenne mon visage entre
ses mains et ne puisse
cesser de pleurer.
Je rêve de perdre
ma peur comme on perd
l’amour : en pratiquant
son manque.

Je rêve de revenir
dans le giron encore atroce
du monde,
avec les livres que j’ai
écrits, chair de ma chair
à l’intérieur
de mon sac, comme
oreiller :

Moi, qui ai été
jeté dehors, redouté,
non écouté et toujours sur le point
de tomber, je pends
au fil de ma raison
comme de la corde
le pendu :
je suis ma raison et ma corde.

Je rêve de laisser
des mots dans l’oreille
d’un enfant : qui
pourra dire que je n’ai pas
dit ce que je pensais que je n’ai
pas aimé, livré et soigné
ma pensée
comme un père ?

Je rêve d’une porte :
je ferme mon verrou
comme une clef.
Comme dans tous les
beaux rêves humains,
la porte donne sur un jardin.
Mais ma clef ouvre vers
l’intérieur, où il n’y a
qu’ombre, parfum et rumeur
de feuilles et de vent.

Moi qui ai été
chassé, exposé, j’aime le reste
de clarté qui rend possible
de voir le jardin où il n’y a
pas de jardin : j’aime
mon rejet, mon verrou,
le danger du texte
engendré.